La recherche tu valoriseras…
S’il est bien un conseil que je peux te donner et que, malheureusement, on ne donne que trop peu dans ta formation de chercheur, c’est : apprends à te vendre et à vendre tes idées. Pour cela, tu disposes de plein de moyen, à commencer bien sûr par les publications et les conférences, mais dans ces dernières c’est le festival off qu’il faut viser. N’oublie jamais qu’à ce stade tu n’es qu’un intermittent de la recherche. Alors, comme eux, va voir les producteurs et les directeurs de salles (enfin je veux dire les directeurs de recherche et de laboratoire) !!! Va au charbon, vend tes idées, fabrique ton réseau, va sur les réseau sociaux et parle de ce que tu fais, fais-toi connaître. L’expert de ton domaine, c’est TOI !!! Et comme on te le dira sans cesse “c’est bon pour ton dossier“.
Ensuite pour valoriser, il faut penser industrialisation/brevet/…. Dans le cadre des projets dans lequel tu seras impliqué ce pourra être chose aisée. Mais si tu as des idées personnelles, alors là, c’est une autre histoire. Sache, jeune padawan, que “chercheur d’un jour = chercheur toujours“. S’il te prend l’envie de jouer les Bill Gates ou Steve Jobs dans ton garage, tes inventions personnelles appartiendront … à ton laboratoire et surtout à tes tutelles !!! Tu pourras certes bénéficier des services des Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies (SATT) qui soit trouveront une entreprise pour “valoriser ces (leurs) actifs”, soit t’aider à monter ta startup pour la même finalité. Et pendant une dizaine d’année, tu leur verseras une redevance sur les revenus que tu en tireras. Tu seras toujours l’auteur de tes inventions, mais pas l’heureux propriétaire… Mais comme on te le dira sans cesse “c’est bon pour ton dossier” (en fait, c’est même très bon). Le monde universitaire a besoin d’argent et si tu montres que tu peux leur en apporter par tes inventions, c’est un sérieux plus.
L’enseignement tu donneras…
Il y a un temps pour paraître, un temps pour être, puis un temps pour transmettre (avant de disparaître). Jeune padawan, si tu veux atteindre un jour le grade suprême de Maître de Conférences, il te faudra enseigner. Beaucoup enseigner et bien enseigner jusqu’à en saigner (calembour facile, tu me le pardonneras, mais la pratique te montreras vite que le combat est parfois rude). Dans le meilleur des cas (et des mondes), tu tomberas sur un Maître Jedi qui te transmettra son savoir pédagogique et quelques-unes de ses bottes secrètes. Tu pourras alors transmettre ton jeune savoir et son vieux savoir, et peut-être même le fruit de tes premières (ou dernières) recherches à de jeunes apprentis assoiffés de connaissances. Dans le pire des cas, tu te retrouveras – seul – à donner pour la première fois (conseil : si tu es de sexe féminin, ne dis jamais à tes étudiants que c’est ta “première fois”, c’est souvent interprété de manière très différente et tu perds énormément en autorité) des TP de matières dont tu ne soupçonnais même pas l’existence face à des étudiants (dont tu ne soupçonnais même pas l’existence non plus) encore plus intermittents que toi. Dans ce cas, un poste de magasinier chez Franprix t’apporterait sûrement plus d’expériences (et de sous)… Tu auras la joie de remplir encore et encore des dossiers en passant plus de temps à les faire qu’à donner ton unique TP (qui lui aussi te demandera pas mal d’énergie – la règle du 4h de préparation pour 1h d’intervention est exacte). Et ne te vexe pas si, chaque année, on te redemande exactement les mêmes justificatifs que l’année précédente pour donner exactement les mêmes trois heures de TP au même endroit. Ne cherche pas non plus de rationalité sur une quelconque différence entre TP/TD/CM quand parfois les trois sont mélangés dans la même séance. Quant à l’évaluation, il te faudra être imaginatif pour trouver comment la faire en économisant ton temps de correction, puis tout aussi imaginatif pour trouver les points à donner à des apprentis qui n’auront peut-être pas tout suivi.
Attention : nouveauté de la génération (anecdote véridique non vécue personnellement), lors de la demande de vérification des copies, tu peux avoir papa et maman qui débarquent pour comprendre comment tu as pu oser mettre une si mauvaise note à leur génie de progéniture estudiantine !!! Autre nouveauté de la génération : le smartphone qui sert à prendre en photos tes magnifiques slides plutôt que de prendre des notes, à sous-traiter certaines tâches, à rester connecté au monde (étonnement, pendant la séance, la Terre continue de tourner et ce serait dommage de passer à côté) et à enfin commenter ton cours. Si tu cherches des questions de leur part, va plutôt sur les réseaux sociaux et recherche les hashtags avec ton nom, ton surnom ou tout autre qualificatif de ton cours. Jeune padawan, ta popularité et le succès de ton cours (à ce stade, c’est équivalent) se jugera au nombre de like et au nombre de partages de l’une de tes anecdotes ou de tes blagues (le reste est accessoire). Remarque au passage : bizarrement on peut faire la même remarque pour les conférences scientifiques où l’on constate de plus en plus – mais à un niveau supérieur – le même type de comportement. Vive les amphis sans wi-fi !!!!
Enfin, ne cherche pas non plus de rationalité dans ta rémunération et sois patient, elle s’effectue dans un autre espace-temps… Quant à tes chers apprentis, il te faudra jongler sans cesse entre les exigences de résultats d’une administration et la réalité du terrain (les niveaux peuvent être très … divers), entre les enseignements de ton Maître Jedi (règle #1 : il a toujours raison) et ce que tu pourrais avoir envie de transmettre (règle #2 : même s’il a tort ou n’est plus très à jour, ton Maître a toujours raison). Cherche à toujours raccrocher ton enseignement à la pratique. Ne recule pas devant le fait que dans l’enseignement supérieur nous ne sommes pas là pour leur apprendre à conduire (ce qui est très ludique pour nos apprentis) mais aussi pour leur faire comprendre comment une voiture fonctionne (ce qui l’est beaucoup moins). Tu n’es pas là pour former de supers utilisateurs mais des adultes à réfléchir et devenir autonome. Et méfie toi de certains Maîtres Jedi qui te diront que tes apprentis sont là pour apprendre et non pour comprendre !!!! Mais tu as la foi, et comme on te le dira sans cesse “c’est bon pour ton dossier“.
La recherche tu animeras…
Voici sans doute l’intitulé que je préfère !!! Animer la recherche… quoi de plus normal pour un intermittent de la recherche. Ceci dit, ne considère pas cette partie, jeune padawan de la recherche, comme étant la rubrique “loisirs” de ton CV où tu listeras tes derniers voyages et tes films préférés. L’animation de la recherche est en fait tout ce que tu pourras faire dans le temps qu’il te reste sur tes 24 heures de recherche quotidiennes. C’est une espèce de fourre-tout capital pour la suite de ta carrière car c’est ici que tu vas construire l’élément LE plus important : TON RESEAU !!!! Celui qui te fera les lettres de recommandation, celui qui pourra t’employer, influencer tes futurs employeurs, intervenir en amont des concours, etc. Jeune padawan, va visiter d’autres galaxies, passe du côté obscure (chez les industriels), va dans les salons professionnels, organise des séminaires ou des hackatons, devient expert ou reviewers (poste très stratégique pour savoir ce que fais la concurrence).
Et si tu es très joueur, alors organise une conférence scientifique (ou fait parti du comité d’organisation). Tu y vivras des moments inoubliables (je cherche encore le sens positif de ce terme dans ce contexte). Tu auras la joie de faire cela sans un sous (ou avec quelques subventions), de chercher des salles pas trop chères, de pâlir en regardant le compteur du nombre d’inscrits n’augmenter qu’au dernier moment (sans oublier toutes les (parfois nombreuses) invitations gratuites du comité de programme), de composer des sacs avec des goodies (le fameux stylo avec son carnet en papier recyclé, le plan de la ville…), de prévoir des repas suffisamment copieux (la marque de fabrique de la conférence), des pauses café dignes de ce nom et surtout d’organiser LE fameux dîner de gala (celui où jeune thésard tu profitais largement de la soirée). Tu peux aussi être dans le comité de programme (le vrai, le scientifique, pas celui de l’organisation du spectacle) avec la joie de gérer de nombreux égos, tes reviewers d’un côté et easychair pour la soumission de l’autre. Tu auras le plaisir de relire toi aussi des articles, de recevoir des papiers bien au-delà de la deadline, sans oublier ceux qui écrivent en plus petit pour gagner de la place en respectant le nombre de pages, ou à l’inverse ceux qui ont oublié cette consigne… Et tu termineras par l’édition des proceedings dont tu n’oublieras pas d’adresser la facture au comité d’organisation… Mais comme on te le dira sans cesse “c’est bon pour ton dossier“, mais pas beaucoup pour le moral.
Les concours tu passeras…
Jeune padawan, si tu veux poursuivre dans la recherche tu auras le choix entre le privé et le “service” publique. Pour ce dernier, il te faudra alors passer par la voix des concours.
Première option de choix : devenir “Maitre de Conférence” (officiellement tu auras 50% de temps de recherche et 50% d’enseignement, en réalité tous te diront qu’ils sont à 98% d’enseignement et 2% de recherche – sur lequel ils seront évalués). Pour ce petit jeu, il te faudra d’abord avoir l’autorisation de concourir : la fameuse qualification. C’est un dossier (mais tu es déjà largement rompu à ce genre d’exercice) où tu auras plein de pièces à fournir. Mais ne te fit pas à ce que dit la Loi, chaque CNU (la galaxie à laquelle tu sera rattachée) a ses propres usages. Renseigne-toi bien avant des us et coutumes locales. Une fois ta qualification passée et obtenue, tu pourras alors enfin postuler pour devenir maître de conférence. Et c’est là que TON réseau va jouer. N’espère pas avoir de poste du premier coup en arrivant comme ça la fleur au fusil. Tout est affaire de lobbying, de charme, de contacts… Une longue préparation et connaissance du terrain s’impose. Et ne cherche pas forcément de rationalité dans les décisions finales.
Seconde option de choix : devenir “Chargé de recherche” ou “Ingénieur de recherche“. A la différence du Maître de conférence, tu n’auras pas d’enseignement à faire (ou alors seulement de ton propre choix). Mais il te faudra passer un temps très très très long à chercher tes financements. Autre différence, tu n’auras pas besoin de qualification. Par contre, TON réseau sera également capital !!!
Dans tous les cas, garde toujours à l’esprit que même si tout cela s’appelle concours, les choses se jouent très largement en amont et donc bien avant l’affichage officiel du dit concours qui – au fond – n’est qu’une manière d’officialiser une décision prise largement en avance. C’est un recrutement assez particulier pour un poste quasiment “à vie”. Le réseau, l’appui de seniors (pour ne pas parler de mandarins afin de rester politiquement correct) est très important, quasiment autant si ce n’est plus que le projet scientifique que tu auras développé et qui devient quasi accessoire parfois. La concurrence est très rude, tu auras en face de toi des gens avec des listes de publications monumentales, des parcours à l’étranger, des brevets, et j’en passe. Et le parcours à l’étranger est devenu aujourd’hui un élément très important dans ton dossier (et penser à partir demande aussi à penser à revenir – si le coeur t’en dit). C’est à ce moment là qu’il te faudra mettre en avant tous ces éléments “bons pour ton dossier“.
Epilogue…
Ce petit jeu et ce monde possède des règles très particulières qui s’apprennent au fil du temps. Tout au moins celui que l’on te laissera. La recherche est un long fleuve tranquille peuplé de crocodiles. Il faut savoir y vivre, y survivre… Il y a beaucoup de candidats (quoique de moins en moins à force de découragement) et peu d’élus, et de moins en moins de finances. Comme pour les projets de recherche soumis, il y a un énorme gâchis. Mais c’est aussi un monde de formidable liberté de pensée et de créer pour lequel on peut avoir une véritable vocation.
Alors avant de te lancer dans cette aventure, réfléchis-bien à tout ça.
Et n’oublie pas que dans la recherche en France, si la liberté n’a pas de prix, elle a un coût !!!